Sylvain Ephimenco – Bonjour tristesse

C’est un véritable scandale et je ne mâche pas mes mots. Qui parle encore le français dans ce pays? Plus personne. La Hollande est devenue un pays terne, un pays ‘bah’. Hier je regardais la télévision quand j’ai soudain découvert une trogne qui ressemblait à une vieille espadrille fatiguée. Un visage dégoulinant de suffisance et d’abrutissement. C’était cet imbécile de Leo Coupeur de Jambe, Leo Beenhakker pour les Rotterdamois. Il tenait une conférence de presse à l’occasion de la rencontre de foot de Feyenoord contre Olympique de Marseille. Tout à coup, un de ses collaborateurs a pris la parole en français afin de répondre aux questions des journalistes venus de l’hexagone. Et Leo s’est mis à faire le zouave, à roucouler comme un dindon, à s’extasier comme une jeune vierge devant un pénis de trois pieds six pouces: ‘ah, bravooo, bravooo. Bien meusjeuw, formidableu, fantastiek! En fransjé, oehui en fransjé.’
Voilà donc où en est arrivée cette pauvre Hollande. Le fait même de baver un petit verbe en français est considéré comme une performance. Que dis-je: comme un exploit semblable à l’ascension de l’Himalaya. Il y a vingt ans, il était encore possible de rencontrer des Néerlandais parlant la langue de Molière. C’était de vieux dinosaures. Une espèce en voie d’extinction. Aujourd’hui, ils sont presque tous morts et Internet est bien vivant. Et internet, bien sûr, c’est en anglais avec ses providers, servers, explorer, out look, e-mail, software, download, site, computer, home page, files, printers, password et cetera.
D’ailleurs les Hollandais ne savent même plus parler leur propre langue. Ils bafouillent, se trompent dans la concordance des temps, font plein de fautes et, surtout, injectent des mots anglais dans chacune de leurs phrases. C’est un anglais qu’ils ont appris en regardant les pires conneries à la télé. Des films B produits par les usines à caca d’Hollywood et qui polluent les écrans de SBS à Véronica en passant par Fox et RTL. Shit! Fuck off, man! So what? Who cares? Over my dead body! Mother fucker! My ass. Et comment s’appelle le programme le plus populaire du moment? Exact: Big Brother.
Ces barbares bataves ne sont même plus capables d’écrire des chansons dans leur langue pour le concours eurovision qu’ils appellent, bien entendu, le eurosongfestival. Pourtant la culture, chèrs amis, c’est d’abord la richesse de la diversité. Or, moins une culture subit d’influences extérieures diverses, plus elle s’appauvrit. Et que reste-t-il de la culture hollandaise, du siècle d’or, des grands maîtres? Trois fois rien. Les films néerlandais n’existent plus ou bien ils portent des titres comme ‘Do not disturb.’
Stef Bos s’est exilé à Anvers. Hermans avait choisit Paris puis Bruxelles. Komrij le Portugal. Reve la Belgique. Rob Scholte se cache à Tenerife depuis qu’Amsterdam on lui a coupé les jambes. La reine Beatrix ne met plus un pied dans son atelier de sculpture. Il n’y a pas de ministre de la Culture mais un secrétaire d’Etat. Et en plus le Van de Ploeg, c’est un économe! A la télévision on n’invite jamais d’écrivains parce qu’ils sont incapables de s’exprimer sans dire des banalités et de débiter d’horribles clichés. Ici pas de Bernard Pivot et de bouillon de culture. Quand on décerne un prix à un artiste, la seule chose qu’on lui demande c’est: ‘alors, qu’est-ce que vous allez faire avec tout ce fric?’
La langue néerlandaise s’est tellement appauvrie qu’elle a accouché d’une littérature aride, sans imagination, descriptive jusqu’à en mourir d’ennui. Les gens se délectent en lisant les rapports secs et plats comme des dubbeltjes de monsieur Fosse à Renard, le tristement célèbre J.J. Voskuil. Le dernier prix littéraire que j’ai lu et qui est décerné… par une banque, est consternant. Le Passievrucht de Glastra van Loon est une historiette de rien du tout, sans profondeur et écrite dans un style d’une abominable simplicité.
Alors, dégoûté, par tant de nullité et craignant la disparition de ce pays dans le prochain millénaire, j’ai décidé cette semaine de faire la grève de votre langue que vous maltraitez en permanence et d’écrire dans la mienne. C’est bien fait pour vous bande d’incultes! Vous n’avez qu’à acheter un dictionnaire!

De Groene Amsterdammer, woensdag 8 december 1999

http://www.groene.nl/artikel/bonjour-tristesse

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